jeudi 12 janvier 2012

L'établi.



En voyant Sur la planche ...

 En 1978, Robert Linhart publie aux éditions de minuit L’Etabli, un livre où il raconte son établissement d’intellectuel maoiste dans une usine Citroën. Ce qui m’a toujours plu dans ce récit, c’est sa manière de ne jamais céder ni à la langue de bois idéologique, ni à une sorte d’ethnographie de l’exotisme d’une figure ouvrière que la gauche était en train, à la fin des années 70, de livrer aux oubliettes. Le narrateur, tout en décrivant de manière clinique la discipline taylorienne qui avale le temps des travailleurs, ne fait pas non plus l’apologie de la posture militante, dont il n’hésite pas à révéler le caractère par moment ubuesque, le petit David maoiste affrontant le Goliath Citroën, tellement épuisé par la chaîne que le soir, dans sa chambre, les rêves de révolution s’évanouissent dans la douleur caoutchouteuse qui engourdit ses doigts. Autre aspect marquant, ce livre ne donne pas non plus dans l’apologie du renoncement où de la communauté désoeuvrée, car ici et là, dans les interstices, il montre continuellement que la mécanique peut être brisée quelque part, là où la force de travail redécouvre le pouvoir constituant de ses alliances. 
Sur la planche, qui n’est pas un film de surf, dixit la Socca Chica, m’a tout de suite fait penser à ce livre : à la manière des hommes décrits par Linhart, Badia et ses copines ne sont pas une avant-garde. Ce qui les constitue comme des sujets politiques, ce sont les gestes et les déplacements qu’elles arrachent au regard du contremaître et à l’horloge taylorienne, leurs maraudages au coeur du marché technologique, et leurs joutes qui partent comme des upercuts. 
La nuit oubliée des usines qui engorgent des armées d’ouvrières, vous n’en entendrez pas parler aujourd’hui à la télé, ni en allant voir un film militant qui annoncerait le retour des magnifiques groupes Medvedkine, mais à travers cette histoire d’amitié entre adolescentes. Peut-être que la déambulation urbaine et collective de ces filles à travers Tanger, qui se remboursent elle-mêmes du temps qu’on leur vole, nous indique à sa façon la possibilité d’une nouvelle “prochaine longue marche”, dont le vocabulaire s’invente discrètement, pas à pas, et qui n’a pas dit son dernier mot, derrière la masse des commentaires journalistiques qui se sont abattus sur un certain “printemps”.

Valentin Schaepelynck

samedi 7 janvier 2012

working girl working on progress actress : L'INTERVIEW.



Mouna BAHMAD.


LE CASTING.

Comment as tu entendu parler du casting ?
Mouna : C’était la fin de l’été, avec une copine, on avait décidé de descendre en ville. Tout le monde sur la playa parlait du casting, il y avait cette bande d’animatrices qui mettaient le feu : c’était très joyeux ! Avec leurs tee-shirts noirs écrits" SUR LA PLANCHE CASTING" elles déliraient. il y a une fille animatrice qui s’est approchée de nous, m’a donné un flyer, m’a parlé du casting. Elle est revenue quelques minutes plus tard pour me dire que la réalisatrice voulait me parler.
Leila était plus loin. Leila a commencé par nous poser beaucoup de questions à propos de nous, et puis elle nous a parlé très rapidement du film : 4 filles, ouvrières textiles et crevettes, qui font les 400 coups à Tanger. Je lui ai dit que j’avais fait du théâtre au lycée, et moi qui suis très timide, j’étais surexcitée totalement déchainée, et je lui ai fait un numéro :. J’ai obtenu un RV pour le casting.


Comment s’est passé la suite ?
 Mouna : Pendant mes années de lycée j’ai adoré faire partie de cette troupe de théâtre. Mais de suite, j’ai senti que c’était presque un handicap pour Leila. Au début, je sentais que Leila était partagée. Le fait que je sois « ouvrière à la zone », ça ne jouait pas forcément pour moi . Leila était un peu réticente aussi, elle avait un peu peur … du caractère témoignage, qu’on prenne le truc un peu comme « c’est mon histoire »... que mes parents ne soient pas d’accord, que le caractère « licencieux » du film les fassent reculer au milieu.
Mais je l’ai convaincue. D’abord et avant tout, je passais le casting comme jeune théâtreuse qui se bat pour avoir un rôle même tout petit, et… ouvrière spécialisée en électronique, c’est à des années lumières de filles –crevettes : autant qu’entre éboueur et employé.
Et ma sœur ainée les a convaincus (et a convaincu leila), faire un film c’est un rêve, quand il se présente, il faut le saisir, et aussi que, je n’avais pas 20 ans, mais la tête sur les épaules.





LE TOURNAGE.

Comment s’est passé la préparation, le tournage ?
Mouna : On habitait tous dans une villa. On avaient notre chambre, une cuisinière, un chauffeur. La vie de staracademy un peu…. On était super contentes. Mais on travaillait, avec un emploi du temps d’internat. La bande des quatre a marché, même si on se chamaillait souvent. Et le travail, c’était très loin de tout ce que je pouvais imaginer. C’est pas du tout… romantique.
On a commencé avec des exercices d’ « interaction », c’est un mot assez sophistiqué . On a rigolé la première fois que Leila l’a utilisé. Mais on n’avait aucune base, donc on a tout appris : interaction avec l’espace, interaction avec le temps, interaction Répéter 1000 fois… Leila voulait qu'on travail avec notre corps. Elle nous faisait marcher, courir, tomber par terre, s'empoigner.. Au théatre, je n'avais jamais vécu ça. C'était génial. Mais c'est du boulot, fatiguant, éreintant. C'était comme un entrainement physique de sportif, très long, vraiment fort et, parfois, un peu difficile. C’est physique, rugueux hrach, on doit toujours sentir le corps s’exprimer, le rythme du corps. Pas les mots. Puis c'était dûr parce que la frontière entre fiction et réalité était très grande : Je ne suis pas Imane.
Il fallait inventer Imane. Leila ne parle pas de sentiment ou d’émotion des personnages…. De « pyschologie » pour dire un mot savant. Elle nous parlait de parcours, des parcours d’Imane et de Badia, des parcours opposés. Moi mes bases de theâtre était un poids car j’avais tendance à jouer comme sur les planches du lycée. Il fallait effacer toutes ces bases , donc apprendre à utiliser mon corps autrement, à respirer, à regarder, à me fixer. Dès le stade des bouts d’essais, Leila tenait à tourner en extérieur. On répétait souvent dans les lieux où étaient censées se dérouler les scènes. Au début jouer dans la rue, c’était très déstabilisant, éprouvant parfois, et en même temps c’était très stimulant de faire ça : tout de suite tu joues, tu es dans une tension, mais tu es concentrée, précise parce que justement, il y a les passants qui t’interpellent : mais tout de suite, tu joues à plein régime,tout de suite tu n’es pas Mouna, tu es Imane qui vit quelque chose dans cette rue.


(Chanson écoutée sur le tournage) 


Comment vois tu leurs parcours justement ?
 Au début Imane s'exprime peu, elle sort avec sa copine, sans prendre soin d’elle même, tirée par sa copine. Imane, c’est une éponge. Imane absorbe, regarde, agit en fonction des . Badia, active, mais qui va s’enfermer dans elle même. Badia est occupée à courir, elle donne tout aux autres, au fond, c’est la plus généreuse, la moins égoïste. Elle donne sans discernement. Elle devient majdouba, extralucide, elle voit pour les autres . Badia ne change pas au grès des événements. Badia reste enfermée et réagit toujours en fonction de son désir, sa peur, son sens de la survie.
Badia et Imane sont avant tout des êtres humains avant d’être des ouvrières. Ce que j’aime dans le film c’est qu’elles sont humaines, elles n’ont pas des capacités de surhumains, elles ont leurs faiblesses — elles ne sont que des êtres humains — qui essaient de tenir bon et de vivre.

(chanson écoutée sur le tournage)

OUVRIÈRE(S). 


Tu es une ouvrière, est-ce que tu as l'impression que le film montre ta vie ?
Mouna : Comme Badia et Imane, je viens du « Maroc de l’Intérieur », j’habite sur les pentes populaires de Tanger, à Beni Mekada. Le film raconte la vie de quatre filles, « au bord de la falaise ». C’est filles sont des ouvrières, deux crevettes et deux textiles. Il y a ouvrière et ouvrière. Moi, j’ai été ouvrière mais  dans le câblage électronique, à la Zone franche. ( rires) Entre le câblage électronique et la crevette, il y a un monde.

Quelles sont les différences ?
Le câblage c’est le meilleur statut pour les ouvrières, c’est le plus haut de la pyramide : tu es qualifiée, tu travailles dans un univers technologique très développé, tu es payée avec minimum garanti par l’Etat, tu es considérée. Même les filles textiles, c’est très loin en dessous. Car pour le câblage, il faut un minimum d’études. Moi j’ai le niveau bac.
Au plus bas de l’échelle, tu as la crevette. C’est le moyen-âge. Il y a rien de pire que la crevette, le froid, l’odeur, tu es payée à la tâche… même pas salariée.


Ça ne doit pas être facile tous les jours non plus...
Non, d'ailleurs les rythmes sont les mêmes, dans l’éléctronique, le cablâge, tu fais aussi les 3/8 moi c’est ce qui m’épuise. Deux semaines de jour, l’après-midi et deux semaines la nuit. C’est…c’est ce qu’il y a de plus terrible.
Et le cablage, tu es debout face à une machine, tu perds une seconde de concentration et c’est toute la chaine qui s’emballe… et tu peux y perdre ta main... Avant le festival de Marrakech la machine m’a sectionné un doigt, j’ai été recousue quelques jours avant le tapis rouge : j’avais un pansement et avec Leila on choisissait dans ses robes les manches longues pour cacher ma blessure de travail… on s’est beaucoup amusées.


Te reconnais tu  dans ton  personnage ?
Mouna :
Moi je viens d’un tout petit village perdu dans l’Atlas, ma famille est très conservatrice, mon père est gendarme et ma mère travaille la terre. Adolescente, j’étais un véritable garçon manqué, hip hop… mais ma famille est très sévère et puritaine, alors les 400 coups, je n’en ai jamais fait. Mon éducation a m’a donné un cadre très solide. C’est ce cadre solide qui a fait qu’a 17 ans, quand je n’ai pas voulu passer mon bac, mon père m’a envoyé dans « la VILLE » tanger et qu’il m’ a fait confiance, il savait je n’allais pas dévier. Moi même, je n’aurais jamais cru que j’allais pouvoir m’assumer, passer de chez papa-maman dans un petit cocon à l’usine, aux rythmes de jour de nuit… J’ai appris à me lever dès l’aube, j’ai appris à me taire devant le contremaitre, j’ai appris à tenir debout 12 heures devant une machine de câblage. J’ai aussi appris a avoir mon propre revenu, mon compte en banque…
Mais sur le fond, l’histoire du quatuor ne me correspond pas du tout. Je suis une jeune fille berbère sérieuse et sage, puritaine qui ne casse pas les tabous… ma vie est très rangée, elle vous paraîtrait ennuyeuse, j’aime respecter les règles .
Je me retrouve dans certains aspects d’Imane, notamment son rapport au quatuor, ses réactions, que je comprends. J’ai beaucoup exagéré mon côté naif et rêveur. Mais j’ai surtout le sentiment d’avoir fabriqué un personnage.
Leila nous a montré des vidéos de filles crevettes, on en a rencontrées, j’ai été en stage à l’usine, et je m’en suis beaucoup inspirée. Je n’ai pas eu la sensation de « jouer », au sens égyptien ou turc du terme, d’abord parce que je ne saurais pas le faire, ensuite parce que Leila nous disait de ne pas le faire. Leila a pris chez nous des choses qui l’intéressaient.
Mais pour autant je n’ai pas l’impression d’être face à ma vie. Je ne suis pas une fille crevette , qui fait les 400 coups. Je viens de la campagne, je bosse sagement... Par contre, la naiveté, c’est bien moi.
Imane parle peu comme moi : je n’aurais pas forcément fait des mêmes choses qu’elle, mais si j’avais dû le faire, je n’aurais jamais fait ces actions-là.
Je lui ai donné une forme de réserve et de naiveté, ma jeunesse et mon naturel de jeune campagnarde, mais le personnage n’est pas moi. Même si je peux être vraiment du genre à délirer des heures dès que je me sens à l’aise et faire la folle !
Je suis donc une jeune fille qui travaille. La ressemblance avec Imane s’arrête là.
Pour moi, c’est plus le rapport à Tanger que montre le film. la ville joue là aussi un très grand rôle dans nos vies.




TANGER.

Tu as un rapport particulier à cette ville ?
Oui, c’est des choses très fortes, que j’ai aussi retrouvées dans les films que Leila nous a montrés, même si ces films sont très éloignés de nous et de nos vies. ( Moi qui suis totalement fan de bollywood, je parle le hindi, je connais par cœur toutes les choré… les dialogues. Alors être face aux films que Leila aime… c’était être jeté dans un nouveau monde. J’ai vraiment découvert autre chose.) Ca te fait poser des questions.Quelle est ma place au cœur de Tanger ? On se pose toute cette question, nous les arrivants, les « gens de l’intérieur» En même temps, aujourd’hui je suis incapable de quitter Tanger, la ville. J’y suis attachée. Tanger, c’est un peu… comme une nouvelle personne dans ma famille.
Que Tanger joue un rôle clef dans la vie des quatre filles, j’ai aimé ça. J’ai pas besoin d’en dire plus. Rien ne sert de chercher à trouver un sens à ce qui se passe à Tanger, les choses sont ainsi parce qu’il s’agit de Tanger.
On est soumis à Tanger, et moi j’adore la séquence du taxi. Je ne sais pas si les non-marocains la comprennent. Dans la salle à marrakech, tout le monde était mort de rire…. Tanger, c’est une ville impitoyable. On est transformé par son arrivée à Tanger et la vie dure qu’on y mène ensuite. On quitte l’apparence de la jeune gourde provinciale pour devenir des jeunes femme urbaine.
Mes parents m’ont fait confiance, ils savaient que j’allais résister au piège de la ville. Tanger des fois ça me paraît être un monstre. Un monstre qui engloutit les gens qui ne quitteront plus la ville. Une fois fondus dans le moule tangérois, on dépend trop d’elle pour la quitter.
Autant on ne parvient pas à se détacher de la ville, autant, lorsque j’en suis en est séparée, quand je rentre au village je me reconnais plus . S’évader de la dureté de tanger passe donc par de petites choses : l’espoir. Tanger, c’est une ville aussi où il y a de l’espoir.


(Chanson écoutée sur le tournage)



ACTRICE. 

Comment le quatuor a-t-il évolué depuis le tournage ?
 Mouna : Désormais, quoi qu’il puisse arriver, et même si nos chemins se sont séparés, il y a un film. Un beau film dont on est tous fiers. Depuis, on a un toutes changé. J’ai eu vingt ans à l’époque du tournage, c’était il y a deux ans, et j’ai changé : je suis moins garçon manqué, moins bledarde.. ;.

Que fais tu aujourd’hui , après le film ?
Mouna : Leila nous répétait qu’il fallait faire attention à ne pas perdre pied. Le film fini, on reviendrait à notre vie ordinaire. Elle avait peur de la redescente pour nous, qu’on pète un plomb. Je n’ai pas pu retourner à l’usine au 3/8.
J’ai essayé de suivre des cours de comédie dans les Conservatoires de Tanger, mais… le groupe était avec des adolescents débutants... Après le film, je suis devenue animatrice pour une association carritative pour les enfants, une caravane itinérante.
Mais je suis une travailleuse qui a besoin d’un revenu régulier. Je ne suis pas une débrouilleuse. J’ai besoin de stabilité. Serveuse, c’est mal vu dans ma famille. Avant le film, j’étais « ouvrière » chez Delphi, une entreprise de cablage. Je suis revenu à l’usine e t au 3/8. Mais je poursuis ma carrière d’actrice, j’ai été à Paris faire des bouts d’essais pour le film de Philippe Faucon.
 Aujourd’hui, j’ai envie de continuer plus que tout d’etre actrice : je suis ouvrière pour gagner ma vie et actrice. Débutante. Je n’ai pas honte de gagner ma vie honnêtement. Mais je ne veux pas qu’on m’enferme. Jouer la comédie j’ai toujours aimé ça, depuis le lycée. Je sais que c’est très difficile de percer. Là-dessus, le film m’a vraiment décoincée. Je peux me dire : voilà, c’est bon, j’ai suis actrice, débutante, je dois manger, j’attend qu’on me propose des films, et pas uniquement des rôles d’ouvrière ou de femme de ménage. Je veux faire des comédies, des films dramatiques, tous les rôles possibles…Je veux jouer une bourgeoise dans le prochain film de Leila ! Et un jour, tourner à Bollywood avec Sharu Khan !


vendredi 6 janvier 2012

On est pas sérieux quand on a 17 ans.

Concrètement si l'on élude les quelques dessins que j'ai pus offrir à ma maîtresse en maternelle et ceux rendus à mes profs d'arts plastiques du collège à la seconde, on ne peut pas dire que je fus d'une productivité fulgurante ces 17 dernières années (soit la durée de mon existence toute entière). J'ai cependant réalisé un court métrage que je présenterai au bac et qui, quoi qu'en cours de montage ne me permet pas d'espérer une nomination à Cannes, ni rien du tout d'ailleurs, pas même une bonne note.
De ce fait, en le montrant les premières fois je ne pouvais m'empêcher d'appréhender des réactions du style "la prochaine fois que l'envie te prendra de faire joujou avec une caméra soit gentille, range ta chambre, tu seras plus productive" ou "pourquoi t'obstiner ? Un CAP coiffure serait un choix tellement plus judicieux !" voire un simple (mais efficace) "c'est tout de même très mauvais" puis finalement et bien qu'on ne m'ait jamais dit de telles choses, j'ai réalisé que ça ne me vexerait ni ne m'attristerait pas le moins du monde.
 Non pas parce que j'avais effectivement conscience de la relative médiocrité de mon travail mais tout simplement parce que l'ayant imaginé, filmé et monté, je ne pourrais jamais ressentir ce frisson lié à la découverte de ce qu’on devine être une de nos futures scènes préférées.
Or, je pense que c’est pour ces moments là qu’on a envie de défendre un film et c’est pour ça que j’ai envie de parler de Sur La Planche.
Je ne suis pas critique, j’ai une culture limitée mais je vois de quatre à cinq films par semaine pour essayer de combler mes lacunes. Je n’ai aucune légitimité pour donner mon avis sur quoique ce soit, pas plus que tous les ados que vous pouvez croiser dans la rue. Je n’ai aucun intérêt commercial à faire de la promotion, moi même, je ne suis pas un objet qu’on mettrait en avant juste parce que je n’ai pas encore l’âge de passer mon permis, du genre, ohé regardez comme ça plait à la jeunesse !
Si c’est effectivement le cas, j’en suis ravie, mais je n’en suis en aucun cas la preuve puisque nous ne sommes pas tous main dans la main à applaudir comme un seul homme aux mêmes choses.
J’en parle sur internet comme autour d’un café, avec vous comme avec des copains, je ne suis pas là pour influencer leur lecture ni la votre, j’espère juste donner envie d’aller le voir puis d’en discuter ou de se disputer à des jeunes comme à des plus vieux. Je ne parle pas de s’engueuler, non, plus de quelque chose dans la veine des débats mouvementés qu’on pouvait avoir à la cantine sur les Strokes et les Libertines : on devait choisir son camp et le défendre sans attendre quoique ce soit en retour de leur part si ce n’est leur musique qu’on aimait plus que tout.
Là, c’est un peu la même histoire, je défend le cinéma qui me plait et Internet ne s’est pas substitué à la cours de récré, c’est simplement un plus, qu’il est naturel pour moi d’investir... parce que j’ai un compte facebook, twitter ou senscritique, que ça fait partie de ma vie... pas par stratégie.
Et comme je peux être hystérique au quotidien il n’y a aucune raison que ça ne transparaisse pas ici puisque comme je l’expliquais plus haut ça n’est qu’un blog. Je ne suis pas la réalisatrice, ni une communicante officielle, ni rien du tout alors j’estime avoir le droit de dire ce que je veux comme je veux.
Si vous pensez que ça peut influencer définitivement ceux qui le lisent, disons, en mal plus qu’en bien,  vous insinuez que je m’adresse à un parterre de gens aussi formés intellectuellement que mon petit cousin de 4 ans et j’ose espérer que ce n’est pas le cas.

Socco Chica. 

mardi 20 décembre 2011

La fureur comme jamais vous ne l'avez entendue II.



Sûr qu'à voir comme ça le visage poupin du bassiste et la calvitie précoce du chanteur on fait pas immédiatement le lien avec la fureur de vivre. Sûr aussi qu'il y a 1000 vidéos dont la qualité est meilleure mais voilà ce soir là j'y étais. Dans les premiers rangs même. Et non on ne me voit pas parce que je culmine à 1m55. Mais enfin tout ça pour dire que sur scène, leurs chansons prennent toute leur ampleur, à la maroquinerie ou sous la tente du NME, c'est toujours fantastique.



J'avoue, elle était facile. Mais quand même, l'EP de La Femme est une des meilleures choses de 2011.



En 2002 j'étais au collège, j'avais une vie plus que tranquille, je faisais du latin. Mais eux ils étaient là et en les écoutant on devenait tous autre chose, on devenait fou. Littéralement.



Se retrouver sous la tente du NME noyée dans une foule de kids qui hurlent à en mourir "kill people burn shit fuck school" c'est comprendre à quelle génération on appartient. Surtout quand quelques semaines avant, nos très sages cousins chrétiens du fin fond du minnesota faisaient la même chose. Tyler met tout le monde d'accord.



Ce type avait la grâce, vraiment, au delà de tout.



lundi 19 décembre 2011

Rude Girl.

Les punks n'était rien mais les punks voulaient être vus. C'était l'idée... La grandeur dans la nullité.
Mais lequel d'entre eux avait compris où tout ça les menait ? Certainement pas Ray Gange, l'épouvantable roady des Clash dans le film Rude Boy.
Ah Ray Gange ! 1m80 de mal entendu. Un mal traité, un mal traitant, un con qu'entend pas la guitare, qu'a pas le rythme, un suiveur invétéré, un qui voudrait bien, mais qui voudrait quoi ? Le grand escroqué de l'histoire du Rock'n Roll, l'idolâtre impénitent, la grenouille de bénitier, c'est Ray Gange qui l'a incarné mieux que personne.
Badia est pareille: une Rude Girl. La parfaite victime... L'oubliée du royaume, aujourd'hui, demain, après-demain...  Celle que tout méprise à commencer par ce qu'elle vénère. Elle aussi, elle aimerait gagner ! Mais son horizon est trop court. Son angle de vision trop étroit. Elle a pas les moyens, elle a pas le talent. Elle a la rage oui ! Mais ça suffit pas. Badia c'est Job sur son tas de fumier !
Ray et Badia vont d'un point A vers un point A. En hurlant : JE SUIS LA ! Chez les punks, c'est une danse qu'on appelle le pogo. Aller nulle part en mettant des coups en l'air. Ray et Badia pogotent dans une nuit épaisse et sans fin.  Il n'y a rien à espérer d'un pogo.
Sinon le geste invraisemblable, le coup de trop qui déclenche la bagarre générale. Encore que... Sinon le geste invraisemblable, le coup de trop qui déclenche la bagarre générale.

Emmanuel Barrault. 


 Portée par Badia, c’est bien la dernière figure punk que met en scène Sur la planche de Leïla Kilani. La dernière non pas comme avatar d’une évolution plutôt sagement répertoriée du genre (musique, mode, affiliations culturelles, credos politiques) mais la dernière en ce qu’elle renoue avec la force irruptive d’un bloc de résistance qui explose et s’expose sans préalables. La chose avant la pensée de la chose, ou plutôt la chose et sa pensée dans la même émergence. Comme si le corps lui même, avant le travail de l’analyse, signifiait l’incessible révolte.
La manière punk est celle d’un bloc. Urgence, singularité.
Parmi les modalités de résistance aux modèles dominants, le refus de la soumissions à l’ordre établi se met ici en place d’emblée, intégrant dans le même mouvement la conscience de l’inique et les stratégies de la rupture. Cela m’évoque les calculateurs prodiges qui, dans l’instant du problème soumis, en livrent la réponse, fort d’une capacité mentale de visualisation des données aussi étrangère au mode de calcul arithmétique en usage que l’est la géométrie riemanienne à la géométrie euclidienne.
Badia est de ce bois là, celui dont sont faites les racines.
Parole psychotique, parole de Pythie.
Badia, le corps déchiré par le morcellement du travail puant à la chaîne, en but à l’injonction de normes socioculturelles indigentes (pas plus orientales qu’ailleurs), laminée par l’intrusion des diktats économiques dans l’organisation de sa vie (et du territoire), se bricole une intégrité singulière, une colonne vertébrale/armure (l’intérieur et l’extérieur confondus) comme seul viatique pensable, condition de son existence et de sa défense, tant chez Badia l’une et l’autre sont consubstantiellement liées.
S’il y a énigme, ce n’est pas dans l’interprétation de la vision - à moins d’être sourd et aveugle -, mais dans la capacité à voir plus loin, plus vite.
Comme seule la poésie en a le privilège.

Cati Couteau. 

samedi 17 décembre 2011

GUEST : SARAH BETIOUI.



Sara a débarqué avec sa cousine pour passer le casting : une brune et une blonde. Chaperonnée par sa mère
La fausse blonde vénitienne, surstylisée, poupée de porcelaine, reptilienne : sa silhouette popart, modern, antonienne nipée rock 2010, avec une robe UNIQUE, elle s’est à peine présentée.
 « Je me suis dit : trop bourge, trop… contemporaine, trop étherée… Trop. Mais j’étais Scotchée . Parfaite pour mon prochain film de névrosés bourgeois. »

Elle a refusé d’exécuter la rubrique « danse » du casting. Elle est restée plantée au milieu du bureau, figée, candide et vénéneuse, timide, hautaine, éléctrique et délicate, arrogante, fuyante, . Elle a envahi l’espace. J’ai pas eu besoin de regarder Eric.
Au bout de 10 minutes, parfaitement immobile ; elle a dit «  c’est pas pour moi.  » 
Je lui ai dit : j’adore ta robe. Elle m’a dit sans se retourner: «  c’est moi qui l’ai dessinée »
Eric m’a dit : «  Elle déchire à l’image. Je lui ai dit : «  oui mais si elle a pas envie…on va pas se prendre la tête ».
Une semaine plus tard, sa mère a appelé Dania mon assistante pour  lui demander si c’était possible de lui redonner une chance, qu’elle avait été terrassée par le trac mais qu’elle voulait passer ce casting.
Elle a redébarqué avec sa cousine. Elle était brune avec une frange. On a pris le temps : je lui ai parlé  longtemps ; elle a maitrisé son trac. Alors que je voyais des 10 aines de filles, avec  le même dispositif présentation&impro&danse : l’humiliation ; le mensonge. L’immense majorité en faisait des caisses pendant l’impro.
Sara  était tout en retenue. Très… Très froide.  
J’ai coché. 


Leila Kilani, Réalisatrice. 


Socco Chica : In your facebook status, as a young tangerian, the word that comes back very often is "bored" (i didn't know of course but leila told me ) : can you tell us more about boredom when you are 20 years old in Tanger ?

Sarah Betioui : Well as a tangerian girl the boredom for me was like a usual feeling, serieusly, 20 years old, no friends, nobody care about what you doing or thinking, even if you tried to impress some people they look at u as a insane person with no respect, no matter what how u feel it’s was hurting and annoying most of time especially my familly they don’t understand at all .i’m a lonely girl my parent are divorced so u can see what i’ve been throug, i have no brothers or sisters so it’s was difficult to not feel bored.

S. C. : do you think that if you moved out somewhere else your boredom would stay here, in Tanger ?
S. B. : Maybe who knows ?? but i think the boredom will not go for good it’s a normal feeling stay with us wherever we go it’s not a thing to run off. The only way to keep it away it’s to make some change in our lifes by doing what we love most.

S. C. : Provided that you are a budding actress and stylist, were you driven by boredom when you went to the casting during summer 2010?
S. B. : Hahah i wasn’t bored at all that time i was just supporting a familly member who bring the idea of going to a casting and try something new even just for fun, but what happend it’s a little bit surprised because i never did something like this before and i had almost a hard attack cuz i was shy and afraid a little bit and i wish to not be choosing till they say u just need to take control of ur stress and everything will be fine so i guess it’s my destiny to be part of that movie.

S. C. : did you have time to be bored during the shooting of the film ? 
S. B. : I don’t think so, sometimes was a little bit difficult not boring because we had a looooot of fun and great moment to remember...

S. C. : do you think your character, a young textile worker, has time to be bored?
S. B. :  As my character, she felt bored and sick of the whole situation that’s why u can see her boredom in the way she choose to live.  

S. C. : in a word, there's not a single teenager like the other, but what we all share the best would be a jaded sense of monotony ?
S. B. : No, the best would be the hope for perfection.

S. C. : does lassitude make you go on further ?
S. B. : Of corse, it’s make me wishing to prove the strength of my will to became the person that i always wanted to be

vendredi 16 décembre 2011

L'ennui international.


Je sais que des gens s’embêtent. Dans la vie, comme ça, ils jouent au Solitaire, ils se tournent les pouces, tapotent sur la table et mine de rien ça leur convient. Ils s’y complaisent dans leur petit ennui douillet.
Moi pas.
Je n’ai peut-être jamais vraiment eu le temps de m'emmerder mais je suis certaine d’avoir toujours pressenti que c’était pire que la peste et que j’étais cernée. Ça rodait là, au coin de la rue, prêt à fondre sur moi au moment même où je baisserai la garde.
Alors pour être sûre d’en sortir vivante j’ai d’abord appris la contemplation. Le plafond se révèle d’une profondeur insoupçonnée, cette feuille est fascinante, je peux regarder trois Tarkovski d’affilée sans ciller, lire des heures et des heures, me concentrer sur tout et n’importe quoi, observer à l’infini.
Mais à un moment ça ne suffit plus. On s’est trop dit que la vraie vie était ailleurs, plus tard, qu’il fallait être patient, rester bien sage à attendre que ça arrive. En gros on a rien compris.
Puis d’un coup d’un seul la peur du vide, du rien, de l'ennui dans tout ce qu'il a de plus atroce nous prend aux tripes et nous propulse tout droit dans la plus totale exaltation. On devient aussi nerveux que la guitare des Stooges dans "No Fun".  Clairement, on a gagné la partie. Parce que oui, mieux vaut ça que de s’atrophier lentement dans des illusions de merde sur un futur hypothétique qui n’arrivera jamais.
C’est précisément  pour ça que comprendre Badia est à la portée de tous, même des mieux lotis. Parce que s’ils n’ont jamais été dans la nécessité matérielle de s’en sortir, d’avoir la rage, ils l’ont peut-être été moralement. L’ennui reste encore ce qu’il y a de plus démocratique. Tout le monde aura sa part.

Socco Chica. 

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