jeudi 12 janvier 2012

L'établi.



En voyant Sur la planche ...

 En 1978, Robert Linhart publie aux éditions de minuit L’Etabli, un livre où il raconte son établissement d’intellectuel maoiste dans une usine Citroën. Ce qui m’a toujours plu dans ce récit, c’est sa manière de ne jamais céder ni à la langue de bois idéologique, ni à une sorte d’ethnographie de l’exotisme d’une figure ouvrière que la gauche était en train, à la fin des années 70, de livrer aux oubliettes. Le narrateur, tout en décrivant de manière clinique la discipline taylorienne qui avale le temps des travailleurs, ne fait pas non plus l’apologie de la posture militante, dont il n’hésite pas à révéler le caractère par moment ubuesque, le petit David maoiste affrontant le Goliath Citroën, tellement épuisé par la chaîne que le soir, dans sa chambre, les rêves de révolution s’évanouissent dans la douleur caoutchouteuse qui engourdit ses doigts. Autre aspect marquant, ce livre ne donne pas non plus dans l’apologie du renoncement où de la communauté désoeuvrée, car ici et là, dans les interstices, il montre continuellement que la mécanique peut être brisée quelque part, là où la force de travail redécouvre le pouvoir constituant de ses alliances. 
Sur la planche, qui n’est pas un film de surf, dixit la Socca Chica, m’a tout de suite fait penser à ce livre : à la manière des hommes décrits par Linhart, Badia et ses copines ne sont pas une avant-garde. Ce qui les constitue comme des sujets politiques, ce sont les gestes et les déplacements qu’elles arrachent au regard du contremaître et à l’horloge taylorienne, leurs maraudages au coeur du marché technologique, et leurs joutes qui partent comme des upercuts. 
La nuit oubliée des usines qui engorgent des armées d’ouvrières, vous n’en entendrez pas parler aujourd’hui à la télé, ni en allant voir un film militant qui annoncerait le retour des magnifiques groupes Medvedkine, mais à travers cette histoire d’amitié entre adolescentes. Peut-être que la déambulation urbaine et collective de ces filles à travers Tanger, qui se remboursent elle-mêmes du temps qu’on leur vole, nous indique à sa façon la possibilité d’une nouvelle “prochaine longue marche”, dont le vocabulaire s’invente discrètement, pas à pas, et qui n’a pas dit son dernier mot, derrière la masse des commentaires journalistiques qui se sont abattus sur un certain “printemps”.

Valentin Schaepelynck

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