samedi 7 janvier 2012

working girl working on progress actress : L'INTERVIEW.



Mouna BAHMAD.


LE CASTING.

Comment as tu entendu parler du casting ?
Mouna : C’était la fin de l’été, avec une copine, on avait décidé de descendre en ville. Tout le monde sur la playa parlait du casting, il y avait cette bande d’animatrices qui mettaient le feu : c’était très joyeux ! Avec leurs tee-shirts noirs écrits" SUR LA PLANCHE CASTING" elles déliraient. il y a une fille animatrice qui s’est approchée de nous, m’a donné un flyer, m’a parlé du casting. Elle est revenue quelques minutes plus tard pour me dire que la réalisatrice voulait me parler.
Leila était plus loin. Leila a commencé par nous poser beaucoup de questions à propos de nous, et puis elle nous a parlé très rapidement du film : 4 filles, ouvrières textiles et crevettes, qui font les 400 coups à Tanger. Je lui ai dit que j’avais fait du théâtre au lycée, et moi qui suis très timide, j’étais surexcitée totalement déchainée, et je lui ai fait un numéro :. J’ai obtenu un RV pour le casting.


Comment s’est passé la suite ?
 Mouna : Pendant mes années de lycée j’ai adoré faire partie de cette troupe de théâtre. Mais de suite, j’ai senti que c’était presque un handicap pour Leila. Au début, je sentais que Leila était partagée. Le fait que je sois « ouvrière à la zone », ça ne jouait pas forcément pour moi . Leila était un peu réticente aussi, elle avait un peu peur … du caractère témoignage, qu’on prenne le truc un peu comme « c’est mon histoire »... que mes parents ne soient pas d’accord, que le caractère « licencieux » du film les fassent reculer au milieu.
Mais je l’ai convaincue. D’abord et avant tout, je passais le casting comme jeune théâtreuse qui se bat pour avoir un rôle même tout petit, et… ouvrière spécialisée en électronique, c’est à des années lumières de filles –crevettes : autant qu’entre éboueur et employé.
Et ma sœur ainée les a convaincus (et a convaincu leila), faire un film c’est un rêve, quand il se présente, il faut le saisir, et aussi que, je n’avais pas 20 ans, mais la tête sur les épaules.





LE TOURNAGE.

Comment s’est passé la préparation, le tournage ?
Mouna : On habitait tous dans une villa. On avaient notre chambre, une cuisinière, un chauffeur. La vie de staracademy un peu…. On était super contentes. Mais on travaillait, avec un emploi du temps d’internat. La bande des quatre a marché, même si on se chamaillait souvent. Et le travail, c’était très loin de tout ce que je pouvais imaginer. C’est pas du tout… romantique.
On a commencé avec des exercices d’ « interaction », c’est un mot assez sophistiqué . On a rigolé la première fois que Leila l’a utilisé. Mais on n’avait aucune base, donc on a tout appris : interaction avec l’espace, interaction avec le temps, interaction Répéter 1000 fois… Leila voulait qu'on travail avec notre corps. Elle nous faisait marcher, courir, tomber par terre, s'empoigner.. Au théatre, je n'avais jamais vécu ça. C'était génial. Mais c'est du boulot, fatiguant, éreintant. C'était comme un entrainement physique de sportif, très long, vraiment fort et, parfois, un peu difficile. C’est physique, rugueux hrach, on doit toujours sentir le corps s’exprimer, le rythme du corps. Pas les mots. Puis c'était dûr parce que la frontière entre fiction et réalité était très grande : Je ne suis pas Imane.
Il fallait inventer Imane. Leila ne parle pas de sentiment ou d’émotion des personnages…. De « pyschologie » pour dire un mot savant. Elle nous parlait de parcours, des parcours d’Imane et de Badia, des parcours opposés. Moi mes bases de theâtre était un poids car j’avais tendance à jouer comme sur les planches du lycée. Il fallait effacer toutes ces bases , donc apprendre à utiliser mon corps autrement, à respirer, à regarder, à me fixer. Dès le stade des bouts d’essais, Leila tenait à tourner en extérieur. On répétait souvent dans les lieux où étaient censées se dérouler les scènes. Au début jouer dans la rue, c’était très déstabilisant, éprouvant parfois, et en même temps c’était très stimulant de faire ça : tout de suite tu joues, tu es dans une tension, mais tu es concentrée, précise parce que justement, il y a les passants qui t’interpellent : mais tout de suite, tu joues à plein régime,tout de suite tu n’es pas Mouna, tu es Imane qui vit quelque chose dans cette rue.


(Chanson écoutée sur le tournage) 


Comment vois tu leurs parcours justement ?
 Au début Imane s'exprime peu, elle sort avec sa copine, sans prendre soin d’elle même, tirée par sa copine. Imane, c’est une éponge. Imane absorbe, regarde, agit en fonction des . Badia, active, mais qui va s’enfermer dans elle même. Badia est occupée à courir, elle donne tout aux autres, au fond, c’est la plus généreuse, la moins égoïste. Elle donne sans discernement. Elle devient majdouba, extralucide, elle voit pour les autres . Badia ne change pas au grès des événements. Badia reste enfermée et réagit toujours en fonction de son désir, sa peur, son sens de la survie.
Badia et Imane sont avant tout des êtres humains avant d’être des ouvrières. Ce que j’aime dans le film c’est qu’elles sont humaines, elles n’ont pas des capacités de surhumains, elles ont leurs faiblesses — elles ne sont que des êtres humains — qui essaient de tenir bon et de vivre.

(chanson écoutée sur le tournage)

OUVRIÈRE(S). 


Tu es une ouvrière, est-ce que tu as l'impression que le film montre ta vie ?
Mouna : Comme Badia et Imane, je viens du « Maroc de l’Intérieur », j’habite sur les pentes populaires de Tanger, à Beni Mekada. Le film raconte la vie de quatre filles, « au bord de la falaise ». C’est filles sont des ouvrières, deux crevettes et deux textiles. Il y a ouvrière et ouvrière. Moi, j’ai été ouvrière mais  dans le câblage électronique, à la Zone franche. ( rires) Entre le câblage électronique et la crevette, il y a un monde.

Quelles sont les différences ?
Le câblage c’est le meilleur statut pour les ouvrières, c’est le plus haut de la pyramide : tu es qualifiée, tu travailles dans un univers technologique très développé, tu es payée avec minimum garanti par l’Etat, tu es considérée. Même les filles textiles, c’est très loin en dessous. Car pour le câblage, il faut un minimum d’études. Moi j’ai le niveau bac.
Au plus bas de l’échelle, tu as la crevette. C’est le moyen-âge. Il y a rien de pire que la crevette, le froid, l’odeur, tu es payée à la tâche… même pas salariée.


Ça ne doit pas être facile tous les jours non plus...
Non, d'ailleurs les rythmes sont les mêmes, dans l’éléctronique, le cablâge, tu fais aussi les 3/8 moi c’est ce qui m’épuise. Deux semaines de jour, l’après-midi et deux semaines la nuit. C’est…c’est ce qu’il y a de plus terrible.
Et le cablage, tu es debout face à une machine, tu perds une seconde de concentration et c’est toute la chaine qui s’emballe… et tu peux y perdre ta main... Avant le festival de Marrakech la machine m’a sectionné un doigt, j’ai été recousue quelques jours avant le tapis rouge : j’avais un pansement et avec Leila on choisissait dans ses robes les manches longues pour cacher ma blessure de travail… on s’est beaucoup amusées.


Te reconnais tu  dans ton  personnage ?
Mouna :
Moi je viens d’un tout petit village perdu dans l’Atlas, ma famille est très conservatrice, mon père est gendarme et ma mère travaille la terre. Adolescente, j’étais un véritable garçon manqué, hip hop… mais ma famille est très sévère et puritaine, alors les 400 coups, je n’en ai jamais fait. Mon éducation a m’a donné un cadre très solide. C’est ce cadre solide qui a fait qu’a 17 ans, quand je n’ai pas voulu passer mon bac, mon père m’a envoyé dans « la VILLE » tanger et qu’il m’ a fait confiance, il savait je n’allais pas dévier. Moi même, je n’aurais jamais cru que j’allais pouvoir m’assumer, passer de chez papa-maman dans un petit cocon à l’usine, aux rythmes de jour de nuit… J’ai appris à me lever dès l’aube, j’ai appris à me taire devant le contremaitre, j’ai appris à tenir debout 12 heures devant une machine de câblage. J’ai aussi appris a avoir mon propre revenu, mon compte en banque…
Mais sur le fond, l’histoire du quatuor ne me correspond pas du tout. Je suis une jeune fille berbère sérieuse et sage, puritaine qui ne casse pas les tabous… ma vie est très rangée, elle vous paraîtrait ennuyeuse, j’aime respecter les règles .
Je me retrouve dans certains aspects d’Imane, notamment son rapport au quatuor, ses réactions, que je comprends. J’ai beaucoup exagéré mon côté naif et rêveur. Mais j’ai surtout le sentiment d’avoir fabriqué un personnage.
Leila nous a montré des vidéos de filles crevettes, on en a rencontrées, j’ai été en stage à l’usine, et je m’en suis beaucoup inspirée. Je n’ai pas eu la sensation de « jouer », au sens égyptien ou turc du terme, d’abord parce que je ne saurais pas le faire, ensuite parce que Leila nous disait de ne pas le faire. Leila a pris chez nous des choses qui l’intéressaient.
Mais pour autant je n’ai pas l’impression d’être face à ma vie. Je ne suis pas une fille crevette , qui fait les 400 coups. Je viens de la campagne, je bosse sagement... Par contre, la naiveté, c’est bien moi.
Imane parle peu comme moi : je n’aurais pas forcément fait des mêmes choses qu’elle, mais si j’avais dû le faire, je n’aurais jamais fait ces actions-là.
Je lui ai donné une forme de réserve et de naiveté, ma jeunesse et mon naturel de jeune campagnarde, mais le personnage n’est pas moi. Même si je peux être vraiment du genre à délirer des heures dès que je me sens à l’aise et faire la folle !
Je suis donc une jeune fille qui travaille. La ressemblance avec Imane s’arrête là.
Pour moi, c’est plus le rapport à Tanger que montre le film. la ville joue là aussi un très grand rôle dans nos vies.




TANGER.

Tu as un rapport particulier à cette ville ?
Oui, c’est des choses très fortes, que j’ai aussi retrouvées dans les films que Leila nous a montrés, même si ces films sont très éloignés de nous et de nos vies. ( Moi qui suis totalement fan de bollywood, je parle le hindi, je connais par cœur toutes les choré… les dialogues. Alors être face aux films que Leila aime… c’était être jeté dans un nouveau monde. J’ai vraiment découvert autre chose.) Ca te fait poser des questions.Quelle est ma place au cœur de Tanger ? On se pose toute cette question, nous les arrivants, les « gens de l’intérieur» En même temps, aujourd’hui je suis incapable de quitter Tanger, la ville. J’y suis attachée. Tanger, c’est un peu… comme une nouvelle personne dans ma famille.
Que Tanger joue un rôle clef dans la vie des quatre filles, j’ai aimé ça. J’ai pas besoin d’en dire plus. Rien ne sert de chercher à trouver un sens à ce qui se passe à Tanger, les choses sont ainsi parce qu’il s’agit de Tanger.
On est soumis à Tanger, et moi j’adore la séquence du taxi. Je ne sais pas si les non-marocains la comprennent. Dans la salle à marrakech, tout le monde était mort de rire…. Tanger, c’est une ville impitoyable. On est transformé par son arrivée à Tanger et la vie dure qu’on y mène ensuite. On quitte l’apparence de la jeune gourde provinciale pour devenir des jeunes femme urbaine.
Mes parents m’ont fait confiance, ils savaient que j’allais résister au piège de la ville. Tanger des fois ça me paraît être un monstre. Un monstre qui engloutit les gens qui ne quitteront plus la ville. Une fois fondus dans le moule tangérois, on dépend trop d’elle pour la quitter.
Autant on ne parvient pas à se détacher de la ville, autant, lorsque j’en suis en est séparée, quand je rentre au village je me reconnais plus . S’évader de la dureté de tanger passe donc par de petites choses : l’espoir. Tanger, c’est une ville aussi où il y a de l’espoir.


(Chanson écoutée sur le tournage)



ACTRICE. 

Comment le quatuor a-t-il évolué depuis le tournage ?
 Mouna : Désormais, quoi qu’il puisse arriver, et même si nos chemins se sont séparés, il y a un film. Un beau film dont on est tous fiers. Depuis, on a un toutes changé. J’ai eu vingt ans à l’époque du tournage, c’était il y a deux ans, et j’ai changé : je suis moins garçon manqué, moins bledarde.. ;.

Que fais tu aujourd’hui , après le film ?
Mouna : Leila nous répétait qu’il fallait faire attention à ne pas perdre pied. Le film fini, on reviendrait à notre vie ordinaire. Elle avait peur de la redescente pour nous, qu’on pète un plomb. Je n’ai pas pu retourner à l’usine au 3/8.
J’ai essayé de suivre des cours de comédie dans les Conservatoires de Tanger, mais… le groupe était avec des adolescents débutants... Après le film, je suis devenue animatrice pour une association carritative pour les enfants, une caravane itinérante.
Mais je suis une travailleuse qui a besoin d’un revenu régulier. Je ne suis pas une débrouilleuse. J’ai besoin de stabilité. Serveuse, c’est mal vu dans ma famille. Avant le film, j’étais « ouvrière » chez Delphi, une entreprise de cablage. Je suis revenu à l’usine e t au 3/8. Mais je poursuis ma carrière d’actrice, j’ai été à Paris faire des bouts d’essais pour le film de Philippe Faucon.
 Aujourd’hui, j’ai envie de continuer plus que tout d’etre actrice : je suis ouvrière pour gagner ma vie et actrice. Débutante. Je n’ai pas honte de gagner ma vie honnêtement. Mais je ne veux pas qu’on m’enferme. Jouer la comédie j’ai toujours aimé ça, depuis le lycée. Je sais que c’est très difficile de percer. Là-dessus, le film m’a vraiment décoincée. Je peux me dire : voilà, c’est bon, j’ai suis actrice, débutante, je dois manger, j’attend qu’on me propose des films, et pas uniquement des rôles d’ouvrière ou de femme de ménage. Je veux faire des comédies, des films dramatiques, tous les rôles possibles…Je veux jouer une bourgeoise dans le prochain film de Leila ! Et un jour, tourner à Bollywood avec Sharu Khan !


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